Au lycée agricole LES HORIZONS, établissement spécialisé dans les services à la personne et aux territoires, est né un projet autour d’un partage de compétences culinaires. Des repas sont préparés par des anciens du secteur, en binôme avec des élèves de seconde professionnelle. Au menu de ce 22 mars : émincé de poulet tagliatelles, tarte aux pommes et rencontre intergénérationnelle.
Charlottes bien ajustées sur les têtes, blouses immaculées, derniers rappels des consignes d’hygiène par le professeur d’économie sociale et familiale, avant l’arrivée des invités du jour. Vernis à ongle et bijoux sont proscrits dans la cuisine pédagogique du lycée LES HORIZONS, à Saint Gervais en Belin, dans la Sarthe.
Ici, on ne badine pas avec l’hygiène. Aujourd’hui, les élèves de seconde professionnelle service aux personnes et aux territoire reçoivent à déjeuner. Ces lycéens se préparent à travailler auprès de trois types de public : des personnes en situation de handicap, des enfants et des personnes âgées. Les enseignements professionnels (2/3 du temps) donnent la possibilité aux élèves de développer des compétences générales et relationnelles qui vont leur permettre de participer au développement et à l’animation des territoires ruraux mais aussi de s’adapter aux besoins de publics variés comme les personnes âgées.
L’objectif de la rencontre du jour, qui a germé dans l’esprit de Bérengère Rossignol, référente des bacs professionnels du lycée et professeure principale de la classe, est l’échange de savoir-faire entre générations, à travers un temps de partage de compétences culinaires entre anciens, bénéficiaires ou bénévoles de Reso’ap et jeunes en formation. L’association, portée par la MSA Mayenne-Orne-Sarthe et Générations mouvement, a pour but de rompre l’isolement des personnes âgées. Elle offre des solutions de mobilité à ceux qui ne conduisent pas et vivent isolés en territoires. Elle a joué le jeu en invitant des bénéficiaires de son service de transport solidaire mais aussi des bénévoles. Une bonne façon de faire tomber les préjugés de chaque côté. “Certains élèves avaient une véritable appréhension de la personne âgée et étaient réticents à partir en stage auprès d’elles”, prévient Bérengère Rossignol. Mais ça, c’était avant l’arrivée des anciens…
Thérèse, 85 ans, arrive la première. “J’ai l’âge de mes cheveux. Je suis née en 1932”, lâche cette figure de Saint Gervais en Belin. Le ton est donné. Malgré des jambes qui la font souffrir et des douleurs aux mains, Thérèse, ancienne agricultrice, reste une infatigable cuisinière et une arrière-grand-mère comblée déjà cinq fois. Son esprit et sa répartie restent aussi tranchants que la lame du couteau qu’elle utilise pour couper les oignons pour la recette du jour. “C’est sûr qu’à l’époque, on était moins empoté pour cuisiner”, constate-t-elle. Elle n’est pas venue les mains vides. Dans le panier de son déambulateur, un petit trésor que les années ont à peine jauni : son livre de cuisine de l’école ménagère. Il a pour sous-titre “Pour préparer le bonheur de votre foyer”. Tout un programme qui date de 1946 et qui fait plonger Amandine et Adeline, ses deux complices du jour, dans une époque pas si lointaine d’une France où les femmes viennent seulement d’obtenir le droit de vote et où l’on tire encore l’eau du puits. “Je veux faire voir aux jeunes que, même si l’on n’avait pas Internet, on savait faire la soupe”, lance-t-elle en coupant comme un chef la volaille prévue au menu. “Je peux vous dire que si vous aviez eu ce livre-là vous sauriez la faire. Et aussi plein d’autres recettes. Le problème, c’est que les mamans ne laissent plus faire, de peur qu’on salisse leur belle cuisine ! Mon aide à domicile ne savait pas faire le potage. L’autre n’avait jamais tenu une aiguille. Je leur ai appris comment faire…
Aujourd’hui, je cuisine moins mais je fais encore du bourguignon et du pot au feu. Quand je fais du poulet, je ne mets ni beurre, ni eau. Je le pique simplement avec de l’ail et le poulet de mamie est bon”. Amandine et Adeline sont conquises.
Cela fait trente ans que Martial est à la retraite. Le Sarthois est veuf depuis deux ans. A 92 ans, il en paraît vingt de moins. Son secret : “Je mange lentement et je bois un peu de vin à table, un demi-verre à chaque repas”. Les bénévoles de Reso’ap lui ont proposé leurs services pour venir le chercher. “Je leur ai dit que ce n’était pas la peine : j’habite seulement à 150 mètres du lycée. J’utilise surtout le service pour aller jusqu’au Mans. C’est bien pratique”. Il fait équipe avec Zoé, 16 ans et Maxime, 17 ans. Faire la cuisine avec l’ancienne génération est aussi l’occasion pour eux d’en apprendre un peu plus sur l’un des doyens de la commune. “Je suis allé à l’école jusqu’à 13 ans. Certificat d’études en poche, j’ai eu droit à trois jours de vacances… chez ma grand-mère à sept kilomètres d’ici ! Le 3ème jour, j’arrachais du chanvre dans les champs de mes parents. A l’époque, on ne se plaignait pas. On n’avait pas le temps…” “Tu n’as pas oublié le citron sur les pommes coupées pour éviter qu’elles ne noircissent?”, interroge Jacques, 70 ans. Regard inquiet de Marine, 17 ans. “Je fais ça tout de suite”. Menuisier de formation, il a passé 33 ans dans les usines Renault avant de prendre a retraite. Marine veut devenir auxiliaire de vie scolaire. “Je fais un peu de cuisine. Surtout des desserts : crêpes, pancakes et gâteaux au yaourt.” Jacques la reprend gentiment : “Évite d’étaler ta pâte avec les mains car ma chaleur de celles-ci fait fondre le beurre. Il faut utiliser un rouleau, conseille-t-il. J’avoue que j’ai un peu l’impression d’être avec l’une de mes petites-filles. Elles habitent à treize heures d’avion, à Singapour. Là-bas, la cuisine est très différente. Ils mettent du soja à toutes les sauces mais jamais de beurre.”
De bons moments à partager
Marie-Yvonne, bénévole à Reso’ap depuis cette année, fait équipe avec Thiphaine et Emilie. Elles veulent toutes les deux devenir auxiliaires de puériculture. “Je les trouve très appliquées.” Un compliment qui va droit au coeur de Thiphaine : “On a trois heures de cuisine par semaine. Les recettes qu’on apprend ici, on les refait à la maison.” Ses spécialités : les pâtes à la bolognaise et le cake au thon. Emilie aime faire la tourte aux poireaux et des pâtes à la carbonara. Marie-Yvonne a plutôt le goût des desserts. “Je ne suis pas une grande cuisinière mais j’adore le clafoutis aux fruits. Framboises, pommes et poires, j’ai un jardin qui donne beaucoup. Cela permet de faire des économies et de manger sains mais c’est beaucoup de travail.” La rencontre sera peut-être l’occasion de recruter des cueilleurs pour cet été ?
Un peu plus loin, Janine met la dernière touche à la décoration de sa tarte aux pommes. “A la maison, mes quatre garçons cuisinent. Il n’y a que ma fille qui n’aime pas ça.”
Juste à côté, justement, c’est une équipe entièrement masculine qui s’active. Cinquante ans séparent Bernard et Thomas. Les deux Sarthois ont respectivement 68 et 18 ans. “A la maison, je suis gâté car mon beau-père est boucher charcutier et médaille d’or de préparation de la rillette. Je mets souvent la main à la pâte et je me débrouille plutôt bien. Je pense que la cuisine,, ce sont de bons moments à partager en équipe”, assure Thomas.
“Je laisse mon épouse faire la cuisine, concède Bernard. Mes compétences se limitent au potage et à la tarte aux pommes.” Qui a dit que les anciens n’avaient rien à apprendre des plus jeunes ?
Article d’Alexandre Roger
Paru dans “le bimsa” n° 182 – mars 2018